Je veux être berger…..
N'ayant pu randonner cette semaine, je poste à nouveau un récit de l'un de mes petits fils Romain (qui avait alors trois ans) qui nous confiait qu'il voulait être berger.....
Je m’appelle Romain, j’ai trois ans et trois lunes et je viens de lire le rapport du G.I.E.C sur l’évolution probable du climat au cours de mon existence : ça va être chaud! Faut dire que vous les adultes (y compris mon papy Ulysse qui se dit écolo) vous ne vous êtes pas privés, vous vous êtes gavés au pétrole pire que moi avec les fraises Tagada et les Tinder Surprise! Et vous ne semblez pas vraiment vouloir changer vos mauvaises habitudes. Et c’est nous, la génération qui monte (pas assez vite à mon goût), qui allons devoir payer les pots cassés. Pour l’instant, encore heureux que je ne paye pas ceux que je casse (et j’en profite !) car je bénéficie de l’immunité accordée aux mineurs. Mais, j’ai décidé de ne pas être plus longtemps complice de cette société gabégienne et orwélienne (je suis petit, mais j'ai des lettres !): j’ai décidé d’être berger!
Me voilà donc en route vers l’antique bergerie de Tédenat perdue au milieu d’un océan d’herbes et de buis sur le Causse du Larzac, burinée par le vent et le soleil, éclairée le soir par les écharpes d’étoiles chères à Giono, loin des néons où se pâment les vanités humaines.
Certes la route est rude et longue pour mes jeunes et frêles gambettes et le soleil arbore sa mine réjouie de juillet, mais à cœur vaillant rien d’impossible! Et les nuages compatissants font glisser sur ma tête de fraîches ombres, me sachant innocent dans la tragédie climatique qui se prépare et qui les chassera bientôt de ce pays.
Un magnifique macaon se régale du nectar que distille obligeamment un brin de lavande: comment les adultes peuvent ils mettre en péril de telles merveilles? Sont ils à ce point écervelés pour ignorer que ce papillon et ce brin de lavande font partie de la trame qui soutient leur existence comme mon doudou soutient la mienne ?
J’arrive enfin à l’ancienne bergerie de Tédenat mais, hélas, je ne vois pas la queue d’un mouton ni la moustache d’un berger (dans les contes pour enfants, les bergers ont toujours la moustache comme les présidents portent toujours des Rolex).
Je pousse un tonitruant «Y a quelqu’un?» (enfin le plus fort que je peux !) et je vois soudain sortir de la bergerie une charmante bergère, qui présente de surcroît l’immense avantage d’être de ma génération. Au moins, me dis je, voilà quelqu’un avec lequel je vais pour voir parler d’égal à égal sans craindre de me faire remonter les bretelles parce que j’ai fait pipi à coté du pot ! Au demeurant les papas qui nous morigènent ne sont pas plus adroits que nous dans ce domaine là !
Je hèle la demoiselle mais à mon grand désarroi elle s’enfuit. Je suis assez vexé car je me trouve plutôt mignon et s’il y a généralement une chose que les garçons ne supportent pas c’est d'être ignoré par une fille. Mettant mon amour propre dans ma poche, je cours comme un dératé après elle, mais la donzelle, qui a des jambes de gazelle, me distance bien vite.
Je m’arrête mon cœur battant à tout rompre d’épuisement ou peut être est ce de déception amoureuse.
Mais étant d’un caractère plutôt bien trempé, j’oublie vite mon infortune et fais une pause pour me régaler d’un morceau de melon que j’avais pris soin d’emporter. Ma brève expérience de la nature humaine m’a appris que les garçons soignaient leurs déceptions amoureuses en ouvrant le frigo et les filles en faisant les magasins. C’est pourquoi le frigo des hommes célibataires est toujours vide tandis que les placards des filles célibataires sont toujours pleins de vêtements qu'elles ne portent jamais.
Revigoré par cette agape, je prends le chemin du retour renonçant à mon projet de devenir berger sur le Causse. A vrai dire j’avais formé ce projet sur un coup de tête mais je m’aperçois que le retour à la nature, ce n’est pas si évident que ça ! Faudrait dire adieu le matin aux tartines de Nutella et mentalement je ne suis pas encore assez mûr pour ça !
Bon, je cause mais je crois bien que je suis perdu et je suis un peu crevé aussi. Faut dire que j’ai 7 km dans les gambettes qui sont loin d’être aussi grandes que celles de mon papi Ulysse.
J’aperçois là bas de jolies meules qui feraient un bon matelas pour une petite sieste, mais bon ça me ferait faire un détour…Ohé! y-a-t-il quelqu’un qui pourrait me transporter, voire me porter ?
Soudain le masque grimaçant d’une vieille femme s’adresse à moi :
« Bonjour mon petit, que fais tu seul dans ces bois ? t’a-t-on abandonné comme le petit Poucet ?
«Aaaaah ! Vous m’avez fait peur madame !» (propos qui n’est guère galant j’en suis conscient, mais à mon âge on ne maîtrise pas encore les règles de la politesse) "Qui êtes vous ? que faites vous ici ?"
«Je suis une fileuse du temps, je veille sur le cycle des saisons, je fais naître puis éclore les bourgeons au printemps et tomber les feuilles l’hiver »
« C’est vous qui nous faites grandir alors ? »
« En quelque sorte oui »
«Chouette alors! vous pourriez peut être me faire grandir un peu pour que je puisse attraper la boite de bonbons qui est dans le buffet de la cuisine ? »
« Désolé mais je n’ai pas le pouvoir d’accélérer le temps et même si je le pouvais je ne le ferais pas pour ne pas te priver de ton enfance, car tu deviendrais alors un adulte incomplet comme un arbre qui ne donne pas de fruits. Poursuis ton chemin à ton rythme, jouis de tes doudous et de tes fraises tagada, le monde qui t’attend ne sera pas tendre pour toi; Tu auras besoin de puiser dans les trésors de ton enfance pour y tenir droit »
Et sur ces mots elle disparut et je me remis en chemin
Cette discussion philosophique m’ayant épuisé (mes propos habituels font plutôt appel à la trilogie enfantine éternelle pipi-caca-boudin) je reprends mon chemin un brin affamé - la tranche de melon étant depuis longtemps digérée - mais faute d’avoir été prévoyant (les adultes l’étant rarement, j’ai d’autant plus d’excuses de ne pas l‘être) je mâchouille mon chapeau pour calmer ma faim.
Au bout d’un moment, j’arrive enfin aux portes du village de la Vacquerie dont je suis parti. Je passe devant une porte cochère ornée d’un fer à cheval qui se veut protecteur et je suis sidéré par les enfantillages auxquels s’adonnent ainsi les adultes. Ils nous regardent, en effet, avec un sourire moqueur quand nous croyons au père Noêl alors qu’ils clouent avec le plus grand sérieux un fer à cheval sur leur porte pour éloigner le mauvais sort. On se demande parfois si ça vaut le coup de devenir adulte quand on les voit agir. Finalement elle a raison la fileuse du temps je préfère rester petit pour un bout de temps encore et jouir de mes doudous et mes fraises Tagada (encore que je connais des adultes qui se gavent de fraises Tagada, et si on m’embête de trop je donnerai les noms !)
Ouf ! me voilà à la maison ! Je crois que cette nuit je ne vais pas avoir besoin de compter longtemps les moutons pour m’endormir ! La prochaine fois que je partirai en vadroulle, je mettrai un plus grand chapeau et j'emporterai mon GPS !
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Texte & Photos* Ulysse
* sauf "l'enfant aux moutons" réalisée avec l'assistance de Lechat IA de Mistral