Fondue aux Bourdils alors que messire Ysengrin rode.....( Reprise d'archive)
D’aucuns pourraient penser en lisant le titre de ma note que j’ai commis une faute d’accord (cela m’arrive, bien qu’étant de la vieille école où l'orthographe était encore enseignée !) et que j’aurais dû écrire «fondus» et non pas «fondue» vu que Gibus et moi, un brin fondus nous sommes parfois quand, par exemple, nous nous plongeons (avec délice !) dans un lac gelé ou que nous partons affronter un blizzard de neige sur le Caroux, comme vous l'avez vu la semaine passée. Mais non, mon propos concerne cette délicieuse recette savoyarde que nous avons dégustée dans le refuge des Bourdils perdu sur le plateau de l’Espinousse. Et je m’en vais vous conter par le menu cette délicieuse et étonnante aventure rando-gastronomique.
Tout est parti du projet que nous avions depuis longtemps Gibus et moi d’aller observer les mouflons à la tombée de la nuit dans le massif de l’Espinousse, ce qui impliquait de passer une nuit au refuge des Bourdils. Et tant qu’à y passer une nuit autant rendre notre séjour aussi festif que possible.
Nous voilà donc rendus au refuge en ce matin d'octobre avec le barda nécessaire à la préparation d’une fondue et accompagnés de Marie l’épouse de Gibus, pleine de grâce certes, mais aussi femme tous terrains de souche montagnarde, qui a souhaité être de l’aventure. Notre première tâche en arrivant est de nous constituer une importante provision de bois nous permettant de chauffer le refuge en vue de la nuit glaciale à venir et bien évidemment de faire cuire la fondue ! Comme nous sommes, vous n’en doutez pas chères lectrices, des maris progressistes et que nous défendons l’égalité de la femme nous laissons bien volontiers Marie participer à la corvée de bois.
Gibus notre maître «es feu» prépare une flambée pouvant tenir quelques heures, le temps que nous allions faire une première virée dans les alentours avec l’espoir d’apercevoir des mouflons.
Nous empruntons le GR7 qui mène au Montahut et offre vers l’ouest une vue somptueuse sur le rocher de Lissante. La brume confère une légèreté féerique à cet univers essentiellement minéral.
Nous traversons de vastes hêtraies qui apprécient la fraîcheur de l’endroit et dont les sujets consacrent toute leur énergie dans une course folle vers la lumière.
L’automne parsème d’or leur frondaison, signe annonciateur de la fin de leur existence et certaines feuilles déjà mortes trouvent pour tombeau un nid abandonné. Ainsi nos corps retrouveront-ils un jour le berceau de terre dont ils sont issus, mais, pour ce qui nous concerne, nous espérons secrètement avoir le temps de déguster au préalable encore quelques fondues et autres délices terrestres, sans oublier les flacons de nectar qui généralement les accompagnent !
Nous quittons le GR7 pour nous diriger vers le Roc d’Ourliades, gigantesque dent de pierre qui mord le ciel nimbé de brume. C’est un secteur sauvage habituellement fréquenté par les mouflons et nous sommes donc discrets et attentifs.
Nous passons près d’un aigle au repos dans son nid et que n’effraie guère notre présence. Il sait n’avoir rien à craindre de nous pauvres bipèdes condamnés par la gravité à ramper sur la terre.
N’ayant pas vu la queue d’un mouflon, nous laissons le Roc d’Ourliades derrière nous pour grimper vers le Montahut.
Nous scrutons attentivement la ligne de crête du Montahut en espérant y apercevoir ces farouches quadrupèdes. Mais à part quelques pins qui s’y sont audacieusement installés nous ne voyons pas âme qui vive !
Poursuivant notre ascension nous rencontrons un vieil homme au visage buriné qui regarde fixement devant lui et reste sourd à nos interpellations. Intrigués nous tournons alors nos regards vers le lieu qui semble le fasciner …..
….et nous découvrons alors, ravis, un trio de mouflons qui nous observent d’un œil inquiet. Nous aimerions leur faire comprendre qu’ils n’ont rien à craindre de nous mais entre l’homme et l’animal sauvage la méfiance régnera tant que la pratique archaïque de la chasse n’aura pas disparue. Il serait plus naturel de confier au loup le soin de réguler les populations d'herbivores, d’autant qu’il est de retour dans la région, comme nous allons le voir un peu plus tard !
Après quelques secondes d’observation, les mouflons disparaissent bien vite derrière la crête, que nous contournons alors pour tenter de les apercevoir de nouveau. Mais au moment où Gibus franchit une barre rocheuse, une énorme pierre se met à glisser qu’il retient de la main le temps que nous puissions franchir l’obstacle. Ne me demandez pas ce qu’il mange au petit déjeuner, c’est un secret !
Puis nous descendons vers le col du Peyre Azent alors que des masses nuageuses venues de l’Auvergne commencent à assombrir le ciel. Julie - l'une de mes fidèles lectrices - a beau me vanter son beau ciel bleu de Vichy, ce que je constate c’est que le mauvais temps qui arrive chez nous est souvent auvergnat !
La dent du Peyre Azent qui émerge d’une mer bleutée de montagnes semble également être un lieu idéal pour y traquer le mouflon. Nous décidons d’aller y faire un tour. Nous nous rapprochons peu à peu du sommet qui semble désert, mais notre précédente rencontre sur le Montahut nous incite à en poursuivre l’ascension.
Parvenus près du sommet nous tombons sur un autre guetteur tout aussi absorbé dans sa contemplation que celui rencontré sur le Montahut.
Mais ce ne sont pas des mouflons qu’il admire, mais la mer Méditerranée qui scintille au loin. On peut être de pierre et avoir un cœur romantique !
Nous redescendons le Peyre d’Azent pour prendre la direction du Mont Gros. Ses flancs sont couverts de champs de fougères fanées qui prennent une couleur d’or cuivré. L’or végétal me fascine bien plus que l’or minéral, car je préfère ce qui est éphémère à ce qui peut être thésaurisé. La valeur de la vie tient surtout à ce que nous sommes mortels.
Nous rentrons sous le couvert d’une forêt de hêtres espérant que des mouflons s’y soient réfugiés.
Après avoir marché un long moment la seule rencontre que nous faisons est celle d’une assemblée de champignons qui dansent la gigue sur une vieille souche d'arbre et que nous dédaignons n'étant pas des mycologues avertis et le menu du soir étant au demeurant déjà fixé !
Soudain, alors que nous commençons à désespérer de rencontrer nos amis à poils, nous tombons «nez à cornes» avec un jeune mâle. Nous avons à peine le temps d’appuyer sur la gâchette de notre appareil photo qu’il a déjà tourné casaque et nous montre son arrière train. Les jeunes n’ont plus d’éducation !
Mais le crépuscule tombe et il est temps de prendre le chemin du refuge sous peine de courir le risque de devoir errer toute la nuit dans ce paysage déchiqueté. Bien que pressés, nous ne nous lassons pas d’admirer les merveilleux oripeaux dont le jour qui meurt couvre alors le paysage.
Nous voilà enfin au refuge et Gibus, qui entre autres talents est un fin cordon bleu, commence à préparer la fondue, tandis que je débouche les bouteilles : A chacun selon ses capacités ! Pendant ce temps là, Marie qui entend représenter dignement la gent féminine et ajouter une note de coquetterie à la soirée, fait un brin de toilette.
Après avoir coupé l’ail, Gibus verse le vin blanc non sans avoir vérifié avec mon aide (deux avis valent mieux qu’un) sa qualité.
Il suffit ensuite d’ajouter le fromage et de touiller sur le feu pour obtenir une pâte onctueuse.
Enfin, «last but not the least» il suffit de s’armer dune longue fourchette, d’y planter un morceau de pain, de plonger le tout dans la marmite pour en retirer une délicieuse bouchée, qu’il faut alors déguster avec une gorgée d’un vin de Haute-Savoie, par exemple un excellent Seyssel, auquel le cépage Altesse confère beaucoup de finesse, et de recommencer! Si vous êtes un(e) fin(e) observateur (trice) vous comprendrez que le nombre de bouteilles de vin blanc ouvertes sur la table n’est pas étrangère à l’intensité du sourire qu’affiche le visage de Gibus, de Marie et le mien (que vous ne voyez pas). Et n’oublions pas que la fondue savoyarde s’accompagne toujours de la noble tradition du «coup du milieu» , mais là je n’en dis pas plus car je risque de voir mon blog censuré par la L.A.O.
Dans l’ambiance féerique de cette soirée, nous sommes peu à peu gagnés par une douce euphorie. Alors que nous rêvons et contemplons le reflet des bougies sur les carreaux de la fenêtre, qui se sont curieusement dédoublés dû à un étonnant phénomène optique appelés par les physiciens «effet cul de bouteille», nous entendons frapper à la porte.
"Ouvrez moi" dit alors une voix rocailleuse «il fait un froid glacial à ne pas mettre un loup dehors et je meurs de faim". Interloqués et un peu inquiets nous nous précipitons à l’étage et regardons par la fenêtre qui vient nous importuner à une heure aussi tardive et en un lieu aussi isolé. «Mais c’est vraiment un loup» profèrons nous en chœur, abasourdis ! Nous redescendons au rez-de-chaussée et signifions au loup que, bien que n’ayant aucune animosité contre lui, nous préférons qu’il reste dehors vu qu'il n' y a plus de fondue à manger et que - malgré notre âge - nous sommes encore de la chair fraîche.
«Puisque vous me refusez l’hospitalité, je vais souffler sur la porte et entrer sans votre permission» réplique-t-il alors n'ayant probablement pas lu l'histoire des Trois petits cochons ! Il se met à souffler, souffler, souffler jusqu’à épuisement sans succès, les murs étant faits de pierres et la porte de solides planches de chêne. Nous le croyons alors parti, quand nous entendons des bruits de pas sur le toit du refuge et puis soudain des hurlements. Le loup a plongé dans la cheminée sans prendre garde qu’il y avait du feu et son pelage s’enflamme en un instant. Consternés nous ne pouvons rien faire hélas pour lui et le regardons se consumer avec horreur ! Nous prenons alors «le coup de la fin» pour nous remettre de notre émotion et à demi rassurés nous montons alors nous coucher . Le lendemain nous prenons avec regret le chemin du retour emportant le souvenir d'une inoubliable fondue !
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Texte & Photos* Ulysse
* Sauf 25 Marie B.
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