Les petits loups sur le chemin de Stévenson
Je profite de cette période de confinement
pour redonner vie à d'anciens articles
Bonjour, je m’appelle Romain et j’ai quatre ans. Ulysse, mon papi qui profite de ma présence pour se la couler douce, m’a demandé de prendre la relève sur son blog pour vous raconter une journée de mes vacances. Je vous demande donc d’être indulgent pour les fautes de syntaxe et d’orthographe. Nous allons partir en vadrouille avec mes parents, grands parents, ma soeur Emilie ainsi que Gibus, Marie et leurs deux petits enfants Carla et Tom, en vadrouille avec des ânes. Nous nous réjouissons, nous les petits loups, à la perspective d’échapper, pour une fois, aux kilomètres «pédibus jambis » généralement au menu d’une sortie avec papi et son copain Gibus.
Nous faisons connaissance avec nos ânes, Gavroche et Zan que leur maîtresse équipe pour nous permettre de les chevaucher. Au passage, je trouve curieux que l’on dise «chevaucher» pour un âne mais ça fait partie des subtilités de la langue française qui vont m’obliger à passer des années de ma vie à l’école, alors que je ferais bien comme mon papi qui mène «la dolce vita» toute l’année au bord de sa piscine et à l’ombre de ses palmiers.
Nous voilà donc partis, sur les pas de R.L. Stevenson. Mon prénom, Romain, m’impose tout naturellement de prendre la tête. Je m’imagine comme César partant à la conquête de nouveaux territoires pour leur apporter la civilisation et faire découvrir les délices du Nutella aux «barbares »
Tom et sa famille suivent sous l’oeil vigilant de Gibus. Carla, sa grande sœur, préfère pour le moment se dégourdir les jambes. Les filles sont bizarres, elles aiment bien faire des efforts inutiles comme de faire le ménage et les poussières alors que celles-ci n’arrêtent pas de revenir.
Je suis impressionné par la crinière de Gavroche, je suis sûr que mon papi qui est aussi poilu qu'un oeuf et traîne derrière est vert de jalousie !
Soudain, Gavroche refuse obstinément d’avancer et se met à brouter l’herbe au bord du chemin. Emilie qui n’a ni sa langue dans sa poche ni ses deux pieds dans le même sabot (encore une curieuse expression, vu que je n’ai jamais vu quelqu’un porter des sabots) téléphone à la maîtresse des ânes pour lui demander assistance. Le conseil est de ne pas céder et de tirer fort sur la longe pour sortir Gavroche de ses agapes. Mes muscles étant encore en voie de développement, nous faisons appel à papi qui parvient à faire redémarrer Gavroche. Connaissant un peu l’âme humaine, je subodore qu’il s’est senti un peu vengé par rapport à la crinière !
Ma sœur est à son tour saisie par l’envie de se dégourdir les jambes et Carla prend sa place. Comme le disait François 1er qui était un sacré coureur de jupons d'après mon papi: « Souvent femme varie, bien fol qui s’y fie ! ». Cela dit aujourd'hui les filles ne portent plus de jupon et je ne vois donc pas l'intérêt de courir après.
Je me laisse bercer par le pas chaloupé de ma monture et je médite sur le coté éphémère de nos existences. Nous ne sommes que des fantômes qui traversent le théâtre de la vie comme ces ombres qui glissent silencieusement sur la piste. Je n’ai certes que quatre ans mais je me rends compte en voyant l’évolution de mon papy à chaque vacances que l’être humain est éminemment périssable, malgré les élixirs de jeunesse – comme il les appelle - blanc, rosé , rouge - qu’il avale à profusion.
Le simple fait que je parle d’élixirs de jeunesse a donné faim et surtout soif à papi et Gibus qui décident de faire une halte pour pique-niquer. Gavroche et Zan en profitent pour brouter à cœur joie l’herbe des environs. Le pique-nique achevé je choisis la méthode douce pour faire repartir notre monture.
Mais l’herbe ici a l’air vraiment délicieuse et Gavroche reste indifférent à mes supplications.
Pour ne pas perdre la face, je fais semblant de me désintéresser de lui. Comme l’a dit Sénèque, qui n’est pas à mon programme mais dont mon papi m’a parlé, « Quand les choses suivent un cours que vous n’avez pas choisi, feignez de les avoir organisées». Et puis si je veux être honnête, il n’ y a pas que les ânes qui fassent la sourde oreille. J’avoue que quand mes parents me demandent de ranger mes jouets j’ai, comme ils disent, les "portugaises" ensablées. Ce qui est drôle dans cette expression c'est que nos oreilles à nous français soient portugaises !
Je prends donc mon mal en patience en sirotant une timbale d’eau tiédasse et insipide car, hélas, à mon age je n’ai pas droit aux élixirs de mon papi. Vivement que je grandisse !
La patience ça va un peu, mais là je sens la moutarde me monter au nez. (Bizarre, également, cette expression, car je n’ai jamais vu de moutarde dans le nez de quelqu’un). Je dois vous faire la confidence que je commence à comprendre les cris de papa et maman quand je ne réponds pas à leurs appels!
Bon, ça suffit, allez vient bougre d’âne sinon je me plaindrai à ta maîtresse et tu te feras botter les fesses! Je dis ça comme ça mais en fait je ne cafterai pas, car maman dit que c’est pas beau de rapporter.
Je dois me rendre à l’évidence, cet âne n’est sensible ni aux caresses ni aux menaces. Il ne reste que l’usage de la force mais là sans vouloir minimiser mes capacités, je ne me sens pas encore de taille à lutter avec lui! Mon amour propre en prend certes un coup mais je me dis pour me consoler que les échecs nous font grandir. Ça c’est encore une belle phrase de papi, mais dans mon cas je ne trouve pas qu’elle soit très vraie, car ça fait plusieurs fois depuis le début des vacances que j’échoue à attraper la boite de bonbons en haut du placard et je n’ai pas pris un centimètre !
Emilie se décide à venir à mon secours et parvient à ma grande honte à décider Gavroche à reprendre la route en lui glissant quelques mots à l’oreille.
Je commence à découvrir stupéfait les pouvoirs mystérieux qu’ont les filles sur les garçons (Gavroche est un mâle) Il va falloir que je me méfie à la rentrée prochaine si mes copines deviennent trop entreprenantes !
Pour ce qui concerne Zan, l'âne de Carla et Tom, tout va pour le mieux car c’est Gibus qui a pris la direction des opérations et aucun âne n’est de taille à lui résister ! Je crois bien que même un mammouth avec lui filerait droit ! Ce n’est pas étonnant que la langue de mon papi traîne sur le devant de ses chaussures quand ils partent tous les deux en randonnée. Oh, ce n’est pas lui qui m’en a fait la confidence car il est trop fier pour ça, mais je l’ai deviné en regardant ses chaussures de randonnée qui sont toutes poussiéreuses sauf le bout qui est propre et luisant.
Marie, son épouse, prend de temps en temps le relais et Zan se laisse faire sans rechigner. Sans doute qu'il se souvient que l'un de ses lointains ancêtres a porté une Marie en Palestine et ainsi sauvé le petit Jésus. Enfin c'est ce que l'on m'a raconté, mais mon papi dit qu'il ne croit pas à cette histoire. Bon moi je veux bien y croire tant que ça fait venir le père Noël !
Ma maman décide également de prendre les choses en main. Cela me conforte dans l’idée que je suis né trop tard car je suis d’une génération où les femmes vont définitivement prendre le pouvoir ! Mais après tout ce n’est peut être pas si mal d’être homme au foyer et de passer sont temps à regarder du foot à la télé en buvant des bières ! A condition bien sûr que l’on ne vienne pas nous déranger en passant le ramasse-poussière !
Nous faisons une pause pour respecter l’adage « Qui veut voyager loin ménage sa monture ». Nous nous allongeons dans l’herbe pour faire une «sieste » pendant que ma sœur Emilie se dévoue pour veiller sur les ânes.
Quand on est allongé dans l’herbe c’est fou les merveilles que l’on découvre et je comprends maintenant pourquoi on voit tant d’adultes dans les parcs allongés sur les pelouses. Ce qui est bizarre c’est que parfois ils sont serrés l’un contre l’autre, même quand il ne fait pas froid. Mais bon les grands n’ont pas toujours des comportements rationnels. Je prends l’exemple de mon papy qui me restreint sur le Nutella alors qu’il avale chaque jour une tablette de chocolat !
On décide de repartir mais une fois de plus Gavroche n’en fait qu’à sa tête. Après tout je m’en lave les mains, je sais bien que papi va réagir quand il commencera à avoir faim, vu qu’il n’a plus rien à manger dans les sacs. Je n’ai pas encore beaucoup d’expérience vu ma courte existence, mais j’ai remarqué un point commun entre les bébés et les papis c’est qu’ils mangent tous deux à heure fixe !
Mais une fois de plus le charme féminin opère et Gavroche se met à suivre Emilie sans sourciller ! La femme est vraiment l’avenir de l’homme comme l’a écrit Aragon . Moi ça me va du moment que c’est pas moi qui marche !
Carla décide aussi de prendre en mains Zan qui se laisse faire comme mon copain Tom qui ne pipe mot. Mon papi suit derrière pas mécontent semble-t-il de voir la jeunesse aussi déterminée à prendre la relève. Enfin, bon je parle des filles parce que nous les garçons, on est plutôt partis pour être des « Tanguy »!
Un lézard vert nous regarde passer intrigué mais aucunement inquiet. Sans doute que la présence d’ânes parmi nous le rassure car il doit se dire que des humains qui fréquentent des animaux aussi pacifiques ne présentent pour lui aucun danger.
Nous abordons la descente qui nous ramène à notre lieu de départ: La Vacquerie. Le chemin étant étroit, nous marchons en file indienne bien que nous ne soyons pas indiens (encore une subtilité étonnante de la langue française ). C’est avec regret que je vois le terme de notre virée approcher. Car en définitive, bien que Gavroche ait mis mon amour propre à rude épreuve, il m’a vaillamment porté et je lui en suis reconnaissant. Francis Jammes a finalement raison, il n’y a rien de plus doux qu’un âne .
Si mon histoire vous a plu et que vous êtes intéressé par une balade avec ânes , voici l'adresse :
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Texte & Photos Ulysse
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