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Le cercle des poètes disparus

 

 

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Réédition d'un ancien article


Si vous avez vu le film «Le cercle des poètes disparus» vous n’avez certainement pas oublié le principal personnage : ce surprenant professeur de lettres anglaises, John Keating, joué par Robin Williams. Cet enseignant de la prestigieuse et austère académie de Weston, ignorant le conformisme qui imprègne l’institution, encourage Todd Anderson, un élève timide et ses amis à refuser l’ordre établi et à ne pas sacrifier leur vie dans une quête vaine du pouvoir et de l’argent. Il leur fait ainsi découvrir les richesses de la poésie et bouleverse leur vie en leur faisant cette profession de foi :

« On ne lit pas et on n’écrit pas de la poésie parce que ça fait joli. Nous lisons et nous écrivons de la poésie parce que nous sommes humains et que notre espèce est animée de passions. La médecine, la loi, le commerce et l’industrie sont des occupations nécessaires pour la survie de l’humanité. Mais la poésie, la beauté et le dépassement de soi, l’amour : c’est tout ce pour quoi réellement nous vivons. Comme le dit Walt Whitman* : chacun au monde doit apporter sa rime.... . Quelle sera votre rime ?"

 

*Auteur du recueil de poèmes Feuilles d’herbe

 

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Ainsi au cours de ma vie, j’ai eu, sans doute comme beaucoup d’entre vous, des activités professionnelles de nature plutôt «alimentaires» mais je n’ai jamais perdu de vue mes amis les poètes, dont les recueils écornés trônent en bonne place sur mes étagères. J’y reviens sans cesse car ils sont le contrepoint et l’antidote à un monde plus préoccupé par la réussite matérielle que par l’acquisition d’une certaine sérénité qui vous permet d’affronter les difficultés et les aléas de l’existence. La poésie donne à ma vie et à mes humeurs la densité et la constance des arbres, nos maîtres en matière d’existence et de rayonnement vital. Voilà des êtres condamnés à l’immobilité qui dans leur frondaison abritent une myriade d’autres êtres, refuges et foyers d’une vie foisonnante et souvent discrète.

 

 

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Aussi imaginez quel fut mon bonheur quand j’ai récemment découvert qu’en un endroit du massif du Caroux que je tiendrai secret, sous le couvert d’arbres séculaires, les poètes disparus se rencontrent chaque nuit du dix novembre, date anniversaire de la mort d’Arthur Rimbaud, prince des poètes, et s’assoient en cercle pour déclamer à haute voix leurs poèmes.

 

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L’un des arbres qui les abritent connaît par cœur leurs oeuvres et lorsqu’un poète a un trou de mémoire (certains d’entre eux, tels François Villon ou Ronsard ont un âge plus que respectable) il leur souffle les vers qu’ils ont oubliés. Certains chasseurs qui sont passés par hasard dans les parages et les ont entendus prétendent qu’il s’agit du brame des cerfs ou du grincement de vieux arbres agités par le vent; mais que peut comprendre à la poésie quelqu’un qui a pour passion d’enlever la vie ?

 

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Le lieu qu’ils ont choisi est l’un des plus sauvages et des plus beaux du Caroux. Les pierres qui bordent le chemin qui y mène nous parlent d’éternité et sont les sœurs des poètes. Ceux ci sont également immortels, même quand on les assassine comme Fédérico Garcia Lorca ou Robert Desnos, car comme l’a écrit Aragon :

 

"Contre le chant majeur, la balle que peut elle,
Sauf contre les chanteurs que peuvent les fusils,
La terre ne reprend que cette chair mortelle,
Mais non la poésie… ."

 

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Un chemin en part qui monte vers les cimes sur lesquelles les poètes déambulent après leur réunion nocturne. En tendant son oreille dans le vent on entend de nouveau Aragon qui susurre :


Je vois sans yeux, je suis une clameur sans bouche,
Je suis le phare obscur que l’on appelle pensée,
J’ai fait de mon désir une force insensée,
Le mystère à mes pieds terre à terre se couche….

 

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Mais vous vous demanderez probablement comment nous avons découvert que ce lieu était hanté par les poètes disparus ? Et bien, c’est un vieux mouflon qui, nous entendant chanter «Mon dieu que la montagne est belle de Jean Ferrat..» et voyant donc en nous des amoureux de la poésie, nous en a fait la confidence. Nos voix et nos conduites avenantes l'ont agréablement surpris lui qui est plutôt habitué aux coups de fusil des chasseurs et à leurs borborygmes (les jurons impliquent un minimum d’instruction) qu’ils profèrent quand par chance ils se tirent dans les pieds ou dans les fesses. Aussi a-t-il volontiers fraternisé avec nous .

 

 

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Soudain le chemin débouche sur une ruine et l’on croit entendre une course affolée dans les sous-bois. Aurait on surpris un poète assoupi dans sa rêverie ? Il faut dire que l’endroit est propice à la méditation.

 

 

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Une magnifique toile d’araignée qui, à défaut de proie, a piégé les rayons du soleil témoigne de la tranquillité des lieux.

 

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Après nous y être reposés un instant espérant sans trop y croire au retour du poète enfui, nous reprenons nos pérégrinations dans cet univers minéral et végétal dont l’inexorable dissolution nous chuchote que les secondes sont sournoisement à l’œuvre au cœur de nos cellules et qu’un jour nos yeux seront de nouveau des pierres et retourneront à la nuit. Comme l'a écrit Aragon «Nous serons arrêtés comme un train dans un tunnel de suie ».

 

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Mais en attendant cet instant funeste (ou qui sait heureux ?) jouissons des nourritures, plaisirs et breuvages terrestres y compris l’eau mais seulement pour s’y baigner quand elle prend la forme d’une délicieuse vasque alimentée par une fraîche cascade ou pour se laver les mains en cette période de covid 19.

 

 

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Revigorés par cette baignade où ne manquaient que les nymphes (mais sans doute préfèrent elles la compagnie des poètes) nous nous remettons en chemin et passons près d’une masure dont la fenêtre ouverte à tous les vents depuis fort longtemps nous offre une vue imprenable sur le roc Fourcat.

 

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Puis nous plongeons dans le sous-bois où nous croisons un loup de belle envergure qui nous fait part de sa colère contre nos hypocrites congénères qui soient disant défendent les moutons mais pour mieux ensuite en faire des côtelettes.

 

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Le ruisseau d’Héric que traverse notre chemin nous offre une dernière halte rafraîchissante et nous quittons à regret le pays où déambulent en secret les poètes disparus. Me reviennent alors en mémoire ces vers de Walt Whitmann qui célèbrent la vie au grand air :

 

J’aime d’amour tout ce qui grandit en plein air,

Les hommes qui vivent parmi les bestiaux

Ou qui sentent l’océan et les bois,

Ceux qui construisent les bateaux et ceux

Qui les gouvernent et ceux qui manient la hache

Et la mailloche, et ceux qui conduisent les chevaux,

Je peux manger et dormir avec eux pendant

Des semaines et des semaines.

 

Que revienne vite le temps où nous pourrons aller dormir avec eux des semaines et des semaines....

 

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 Texte & Photos Ulysse

 



11/04/2020
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