Nous avons vogué vent debout sur le Caroux ! (Reprise d'archive)
En cette saison, mon blog ressemble plutôt à un catalogue de sports d’hiver. Pourtant je n’ai pas changé d’adresse, mon antre étant toujours situé près des rivages de la Méditerrannée. Mais les aléas climatiques font que nos modestes montagnes languedociennes prennent parfois au cours de l'hiver une allure «Pyrénéenne». Et Gibus et moi nous nous délectons à les arpenter ! Ainsi nous allons aujourd'hui faire l’ascension du Caroux dont les larges épaules n’ont jamais été aussi blanches. Il faut dire que ce colosse, qui malgré ses allures débonnaires met à mal nos mollets, est plus habitué aux tièdes effluves méditerranéennes parfumées de garrigue qu’aux vents glaciaux venus du pôle nord parfumés au sapin !
Nous partons du Verdier situé à l’entrée des Gorges d’Heric que domine le Roc du Miral du haut de ses 887 m. Le ciel est «bleu neige», le vent est nul à cet endroit (précision importante, on le verra tout à l’heure) la température extérieure affiche un agréable - pour des montagnards - 2° et nos sacs sont pourvus de réserves d’anti-gel pour affronter la froidure des sommets. Nous jouissons donc de conditions idéales pour mener à bien notre expédition.
Très vite nous rencontrons la neige qui tapisse les sous bois de chênes verts dont les feuilles vivaces créent l’étonnant spectacle d’une frondaison verte dans un paysage hivernal.
Parvenus au pied du Rocher du Luchet qui nous toise de ses 1010m les choses se gâtent un peu, la couche de poudreuse devenant plus épaisse et masquant les chausses trappes du chemin empierré. Je me retrouve plusieurs fois le cul dans la neige tandis que Gibus, qui doit avoir des gènes de bouquetin vu son origine suisse, semble surfer sur le chemin.
Mais nous parvenons enfin sur le plateau sommital où nous imprimons les premières traces de bipèdes, instant pour nous aussi mémorables que les premiers pas d’Amstrong et d’Aldrin (celui que l’on oublie toujours! malédiction des deuxièmes !) sur la lune. Vous verrez peut être dans cette affirmation un brin de prétention mais ce jour là nous étions assurément les seuls hommes sur ce lopin de terre.
Le moment étant venu de l’indispensable pause-repas (boissons comprises !) , nous nous réfugions dans le refuge de Font Salesse où nous vous avons souvent virtuellement accueillis. Nous y faisons un feu d’enfer et le plein d’énergie, le menu du jour étant, comme à l’accoutumée, constitué de vin chaud, de potage, de pâté, de salade de pâtes, de vin de pays d’Oc et pour conclure de café, thé, biscuits et chocolat : un festin auquel Amstrong, Aldrin et Collins - le troisième larron de l’expédition lunaire qui a fait tout le boulot en conduisant le module mais a été privé de sortie - n’ont jamais eu droit ! Mieux vaut donc partir à la conquête du Caroux que de notre désertique satellite, cette "faucille d'or négligemment jetée dans le champ des étoiles", comme l'a superbement écrit le grand Victor !
Mais il nous faut nous arracher au confort du refuge pour prendre le chemin du retour. Le trajet commence sous de bons auspices, le ciel rayonne toujours d’un intense bleu neige, la hêtraie que nous traversons ressemble à d’immenses chandeliers dont les ombres des branches zèbrent d’éclairs le sol enneigé.
L’eau d’un ruisseau que rien n’arrête (sauf nos gosiers !) grignote son chemin dans la couverture neigeuse et ouvre une plaie béante sur l ‘épiderme de Gaïa .
Mais nous approchons du coté nord du plateau où notre vieille et vigoureuse ennemie, la Tramontane, entraîne la poudreuse dans une valse infernale.
Après un instant d’hésitation, nous nous lançons tête baissée sur la «piste de danse» espérant échapper rapidement à l’emprise de cette vigoureuse fille d’Eole dont le seul mérite est de balayer le chemin nous permettant de le suivre plus aisément. Mais la drôlesse est susceptible et comme aucun de nous deux n’a daigné l’inviter à danser, elle commence à faire tourner autour de nous un tourbillon de poudreuse qui nous suffoque.
Nous tanguons, nous roulons voguant vent debout sur cet océan de neige. Par instants la Tramontane parvient à faire vaciller Gibus ce qui n’est pas un mince exploit. Mais celui ci plie mais ne rompt pas ! Quant à moi, je l’avoue humblement, je suis obligé plusieurs fois de mettre un genou en neige pour reprendre mon souffle ! Plier le genou devant madame Tramontane n'est pas une faiblesse mais un signe de galanterie! (je sauve mon amour propre comme je peux).
Sous l’effet de cette valse folle le chemin a disparu et nous naviguons à l’instinct traversant des dépressions de terrain où nous nous enfonçons jusqu’à mi-cuisse dans la poudreuse.
Chaque pas demande un effort intense pour extirper nos jambes de la gangue neigeuse, mais l’infinie pureté et beauté du paysage nous fait oublier la difficulté de l’épreuve, notre corps étant assujetti à notre âme éblouie. Car notre âme s’est émancipée de ce corps si contraint et pesant et vole de sommet en sommet, enivrée de pouvoir contempler une telle magnificence que peut être aucun homme ne reverra jamais. Voir autant de neige sous un ciel si bleu dans notre contrée est en effet plus rare que de voir fleurir un oranger sur le sol irlandais !
Nous plongeons dans les Gorges d’Héric espérant échapper à l’étreinte de la Tramontane, mais elle semble là aussi s’en donner à cœur joie. Nous prenons notre mal en patience car au fond de nous nous savourons secrètement ce défi qu’elle nous lance et qui sublime la sensation de nos existences.
Nous longeons les imposantes masses de gneiss déchiquetées du Roc du Caroux que l’haleine blanche de la tramontane rend aériennes.
Nous parvenons enfin sous le couvert d’antiques châtaigneraies où le calme règne. Nous reprenons nos esprits avec le sentiment d’avoir vécu un moment unique de notre vie, une idylle fougueuse avec la neige et la tramontane, deux redoutables et séduisantes filles de Dame Nature.
Un ruisseau, qui coule non loin, nous offre en prime une magnifique fleur-étoile de glace et nous jouissons de ce privilège d’être les seuls hommes qui pourront jamais la contempler.
Nous croyant tirés d’affaire et la température ayant remonté de quelques degrés, nous quittons nos anoraks quand soudain la Tramontane profitant d’une trouée dans la châtaigneraie nous impose une dernière «valse». Après un instant d’hésitation, voyant que nous ne pouvons refuser une invitation aussi pressante, nous nous livrons contraints et forcés à ce dernier tour de piste.
Mais le hameau d’Heric est bientôt en vue à partir duquel le chemin descend au fond des gorges de l’Héric où la tramontane ne peut s’aventurer.
Le reste de notre périple devient alors idyllique, des lambeaux de neige illuminant la frondaison des arbres et les pierres du torrent tandis que les rayons du soleil retrouvent une température quasi-printanière.
Nous sommes un instant tentés de faire comme la chute du Cerisier qui se précipite dans une vasque émeraude, mais les rives en sont ombragées et il se fait tard.
Et puis, pour dire le vrai, juste à coté la nature nous offre un fabuleux spectacle qui refroidit un peu notre envie de nous baigner !
NB: Cet article provient de mon ancien blog qui a été fermé
*****
Pour être informé(e) des nouvelles publications
inscrivez vous à la newsletter
******
(Cliquez sur le nom des blogs pour y accéder)
Texte & Photos Ulysse
A découvrir aussi
- Le cercle des poètes disparus
- A la découverte des volcans d'Auvergne - 3 - Du Puy de Sancy au lac de Guetty
- Trois papis casse-cous au Casselouvre !