Pélerinage à Saint Eutrope pour chasser l'hiver....
Il y a de cela quelques années, un matin de la mi-janvier, malgré le froid de manchot qui régnait sur le sud, je faisais mon marché et attendais patiemment mon tour à un étal. Les sudistes étant généralement volubiles, me voilà engagé dans une conversation météorologique avec un "papet" auquel je manifeste ma surprise au sujet des abondantes chutes de neige tombées la veille sur les sommets des hauts-cantons qui ont pris une allure alpine .
«On m’avait que dans le sud, il n’y avait pas d’hiver et qu’on se baladait en chemisette en toutes saisons» je lui susurre goguenard.
«Jeunot , ici dans ma jeunesse il n’y avait pas d’hiver car quand il osait pointer le bout de son nez, on organisait un pèlerinage à la chapelle de Saint Eutrope pour y faire un grand feu et il s’en allait. Aujourd’hui plus personne n’a le courage d’y monter. Mais attention pour que ça marche fallait monter le bois du bas de la vallée et sur un sentier que même les mouflons hésitent à prendre»
Outre le plaisir d’être appelé jeunot (ce qui ne m’arrive plus guère) l’histoire du papet m’intriguait. Depuis ma rencontre avec un magnétiseur au Montahut que je vous conterai un autre jour, j’étais prêt à admettre que des phénomènes qui choquent à priori nos esprits cartésiens pouvaient avoir une explication scientifique. Ainsi peut être que la colonne d’air chaud provoquée par le feu en cet endroit particulier avait une influence sur l’anticyclone des Açores. Certes l’obligation de n’utiliser que du bois de la vallée semblait relever de la superstition. Mais il fallait aller vérifier en respectant la tradition.
Nous voilà donc partis le lendemain avec Gibus et notre bande de copains sans peurs et sans reproches à l’assaut des pentes enneigées de la Serre de Majoux où se dresse la Chapelle de St Eutrope. Les routes étant enneigées nous partons du village de Compeyre situé près de Saint Gervais sur Mare pour emprunter le GR 653 qui mène au pied de la Serre de Majoux.
Nous passons près de jeunes et tendres hêtres dépouillés d’une partie de leur écorce par des cervidés affamés. Si jamais grâce à notre expédition nous arrivons à chasser l’hiver, les hôtes de ces bois, que le manteau neigeux prive de nourriture, nous devrons une fière chandelle. Par gratitude peut être se laisseront-ils plus volontiers approcher et photographier !
Un compère de Sylvebarbe du peuple des Ents nous hèle au passage pour nous demander où nous allons par un temps si peu propice à la randonnée. Ayant pris connaissance de notre projet il nous encourage dans notre expédition. Il nous confie qu’au cours de ces 254 années d’existence il n’a jamais vu tomber autant de neige dans la région et se fait du souci pour la survie de ses compagnons forestiers.
Nous gravissons une colline boisée dont les arbres dépouillés laissent voir entre leurs branches les terrasses édifiées par les anciens, titanesque travail aujourd’hui ignoré, abandonné, mais qui témoigne de leur courage. Tandis qu’ils façonnaient le monde dans lequel ils vivaient, ce travail pétrissait leur propre vie qui plongeait ses racines dans la terre qui les avait vus naître. Le monde moderne a, pour la plupart d’entre nous, coupé ce cordon ombilical avec la terre mère et c’est sans doute pour cela que nous en prenons si peu soin.
Et pourtant quelle magnificence est la sienne en tous lieux et en toutes saisons pour qui a la chance de pouvoir s’immerger dans la nature et la contempler.
Nous voici arrivés au pied de l’un des contreforts de la serre de Majoux dont le sommet échancré laisse voir le bout du clocher de la chapelle St Eutrope. Le sentier qui y mène - qui par temps clément n’est pas des plus aisé à gravir – est ce jour là une véritable patinoire. Mais préoccupés avant tout par le seul bien être général qui dépend de l’accomplissement de notre mission, nous battons les fourrés environnants afin de recueillir le bois nécessaire au feu que nous devons allumer dans la chapelle.
Notre récolte faite, nous entamons notre ascension Gibus - le plus audacieux et expérimenté d’entre nous - en tête comme il se doit .
Votre serviteur lui emboîte le pas tanguant et dérapant sur le sentier verglacé tandis que Gibus semble avoir des semelles en « post it ».
Nos compagnes suivent derrière emmenées par Marie la savoyarde qui avec son mari Gibus a connu des situations bien plus périlleuses.
Mais nous parvenons tous sains et saufs à la Chapelle qu’un rayon de soleil inopinément éclaire, dû sans doute à la débauche d’énergie que nous avons déployée pour grimper jusqu’ici.
Mais ce rayon de soleil peine à faire grimper la température et nous nous réfugions « fissa » à l’intérieur de l’abri qui jouxte la chapelle et où autrefois vivait un ermite.
Le local n’ayant pas de fenêtre nous suspendons une bougie pour nous éclairer ce qui crée une ambiance magique propice à l’allumage du feu « sacré » qui doit chasser l’hiver .
Le feu est enfin allumé qui boute bientôt la température hivernale hors des lieux, ce qui est déjà un premier résultat !
Quand nous sortons pour prendre le chemin du retour, il fait étonnamment beau, ce qui est de bon augure quand au succès de notre entreprise. La neige est néanmoins toujours là et la descente va se révéler périlleuse.
Mais, après avoir à plusieurs reprises posé involontairement nos fesses sur le sentier, nous arrivons sans encombre dans la vallée où nous constatons avec stupeur que le soleil s’enhardit et commence à faire fondre la couche de neige qui recouvre la montagne du Marcou en face de nous : le papet avait raison, notre feu est en train de faire partir l’hiver!
D’ailleurs l’un des descendants des éléphants perdu par Hannibal quand il est passé dans la région pour aller conquérir Rome barrit de contentement à la perspective de retrouver enfin des températures plus clémentes auxquelles il est accoutumé.
Un Ent, sans doute mis au courant de notre expédition par son congénère rencontré le matin (les oiseaux sont les messagers de ce peuple), nous félicite pour notre courage et se réjouit des rayons du soleil qui commencent à chauffer le haut de sa ramure.
Et, suprême récompense, des mouflons, d'ordinaire si farouches mais probablement informés par les Ents, viennent saluer ces humains auxquels ils doivent ce réchauffement soudain de l’atmosphère qui va leur permettre de nouveau de brouter l'herbe qui était recouverte de neige.
Une minuscule feuille de hêtre qui avait vaillamment résisté à l’hiver et refusait de choir avant de revoir une dernière fois le soleil, accueille avec un bonheur immense le rayon qui la traverse.
Et un vieux châtaignier nous ouvre son cœur pour nous remercier au nom de l’ensemble des êtres de la forêt de ce que nous avons fait. Emus par ces témoignages de reconnaissance, nous sentons renaître en nous ce lien charnel et fraternel qui nous unit à la nature. Et nous comprenons que si l’homme ne prend pas soin de son « berceau » il prépare sa tombe. Et si jamais l’hiver revient l'année prochaine roder dans les parages nous savons ce qu’il nous reste à faire !
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Texte & Photos Ulysse
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