Tisser l’imaginaire, une fête pour l’esprit et les yeux au musée Fleury de Lodève
La météo n’ayant pas été, cette semaine passée, compatible avec l’état de mes vieux abattis, j’ai troqué les sentiers de randonnée pour les salles du superbe musée Fleury de Lodève dont on voit ici le gigantesque faune sculpté par Dardé, un sculpteur local qui vous accueille dans le hall. Lodève, ancienne capitale drapière, possède aussi une magnifique Manufacture de la Savonnerie, l’un des deux ateliers, avec les Gobelins de Paris, de fabrique de tapis qui font partie des manufactures nationales et du mobilier national sous la tutelle du ministère de la culture. L’exposition temporaire en cours au musée Fleury s’intitule «Tisser l’imaginaire» et comprend une magnifique série de tapisseries prêtées par le Mobilier National, un établissement unique au monde. Elle illustre la notion d’imaginaire au travers de la représentation de contes, de visions de l’esprit, de mondes mythiques, d’abstractions.
La première des tapisseries est une illustration du conte de Perrault «Le petit Poucet» réalisée en 1920 à partir d’un dessin de Jean Veber.
Elle comporte une succession de scènes qui narrent l'ensemble de l’histoire et foisonne de détails pittoresques que le regard se plait à débusquer au fur et à mesure.
On admire la finesse des détails que l’on retrouve, notamment, dans l’expression de terreur des enfants.
Tout un bestiaire, traité de manière très naturaliste, se cache dans la dense végétation et les sous-bois.
Cette tapisserie réalisée en 1842 à partir d’un tableau de Jean-Baptiste Oudry, grand maître de la peinture animalière au XVIIIème siècle, est une illustration de la fable «Le loup et l’agneau» de La Fontaine. L’aspect tourmenté de la végétation est à l’image du drame qui se prépare. Admirons la transparence de l’eau dans laquelle le loup a plongé ses pattes.
Avec cette tapisserie, nous passons à un univers plus «rayonnant». Réalisée en 1957 à partir d’un tableau de Marc Saint Saëns, elle représente Apollon, dieu grec des arts, du chant, de la musique, de la beauté masculine, de la poésie et de la lumière, devenu au Moyen-Âge puis à l'époque moderne, un dieu solaire. C'est sous cette forme, doté d’une lyre, qu’il est représenté. Admirons le sentiment de mouvement que créent les crinières échevelées et les têtes cabrées des chevaux
Réalisée en 1953 à partir d’un tableau de Jean Lurçat et intitulée curieusement «La petite peur», peut être en raison du chevreuil à gauche qui semble effarouché, cette tapisserie représente l’unité du monde vivant. Pour Jean Lurçat le règne animal, le règne végétal et le règne minéral présentent une continuité. Chacun de nous est un commencement de minéral ou aboutissement de végétal et nous vivons, nous nous développons, nous nous ramifions exactement comme une branche d'arbre. Nous sommes pierre, nous sommes feuillage, nous sommes poisson... Chaque être est tout à la fois. Profession de foi à laquelle j’adhère pleinement !
Cette tapisserie, réalisée à partir d’un tableau de Max Ernst, s’intitule «La grande forêt». Le paysage, au centre duquel trône le soleil, empreint d'une lumière mystérieuse, est théâtral et angoissant. Il renvoie à l'enfance de l'artiste qui vivant proche de la Forêt Noire, a gardé de ses premières expériences de la forêt un sentiment partagé entre ravissement et sentiment d’oppression que suscitent les arbres qui l’entourent. Elle exprime ainsi le credo du surréalisme selon lequel l'art doit reproduire les images de l’inconscient.
Voici «L’âge d’or» qui reproduit un tableau des années 1930 d’André Derain, chef de file des «Fauvistes», qui illustre ce mythe relaté par Hésiode et Ovide durant l’Antiquité d’un temps mythique où régnait une parfaite harmonie entre la faune et l’humanité. L’aspect menaçant de certains fauves exprime néanmoins une certaine inquiétude quant à l’évolution du monde, en accord avec l’époque au cours de laquelle cette oeuvre a été réalisée.
Cette tapisserie dénommée «Animaux» a été réalisée en 1963 à partir d’un tableau de Victor Brauner, peintre «surréaliste» marqué par un goût pour l’occultisme. Ayant perdu un oeil, il va recourir plus à une vision intérieure qu'à une vision physique et délaisser l'espace perspectif à trois dimensions pour un espace plan où les corps et les formes, stylisés, se font plus abstraits et tendent à devenir des «signes».
Cette tapisserie dénommée «La création du monde», qui véhicule un sentiment d’énergie et de puissance, reproduit un décor réalisé par Fernand Léger pour le Ballet «La Création du monde» dont la musique a été composée par Darius Milhaud, fortement influencé par le jazz qu'il a entendu à Londres et étudié à New-York en 1922 auprès des Afro-Américains de Harlem. Dans une évocation du chaos original, sont campées trois divinités monumentales, inspirées de l'art africain. L'idée de mécanisation de la figure humaine chère à Léger se décline dans la frontalité des figures.
Cette immense tapisserie, dénommée «Tenture des éléments - l’eau ou Neptune», réalisée à la fin du XVIIème siècle, reproduit un tableau de Charles Le Brun. Elle représente Neptune (Poséïdon pour les grecs) armé d’un trident, monté sur un char formé d'une coquille traîné par des chevaux marins. Il est accompagné de son épouse Salacie (Amphitrite pour les grecs). Neptune semble courroucé, anticipant sans doute la pollution de l’océan par les plastiques dont l’humanité va se rendre coupable et son épouse le regarde d’un air inquiet craignant sans doute de devoir subir son courroux.
Dans cette partie de la tapisserie où l’on voit deux tritons sortant à moitié de l’eau, on peut admirer les nuances de couleur utilisées pour représenter l’océan. Notons que les tritons, qui sont l’équivalent masculin des Sirènes, ne semblent pas - du moins dans la littérature - avoir le même pouvoir de séduction sur les femmes que leurs consoeurs sur les hommes.
Cette étonnante tapisserie dénommée « Camp de singes » est mystérieuse vu que l’on ne connait ni son auteur ni la date et le lieu où elle a été réalisée. Rappelons que le singe - notre cousin - occupe une place importante dans l'imaginaire occidental ainsi que depuis l’Antiquité dans les civilisations égyptienne, orientale et gréco-romaine. Au Moyen-Âge, il est souvent associé au démon dans une iconographie chrétienne d'homme déchu. À la Renaissance, suite aux voyages des explorateurs qui en ramènent en Europe, il apparaît comme un animal irrévérencieux et comique. Au 17° siècle, la mode des «singeries» prolifère dans les fables et les représentations allégoriques, le singe devient la figure d'un double de l'Homme, dans un corpus d'images satiriques aux confins de la vanité humaine.
Cette lumineuse tapisserie de 1974 vivement colorée reproduit une oeuvre d’André Masson dénommée «Poursuite parmi les éclosions et les germinations ». Peintre, graveur, illustrateur et décorateur de théâtre français, André Masson est un artiste aux multiples facettes. Surréaliste mais affranchi de toute doctrine, ses œuvres évoquent un monde en perpétuelle métamorphose. Il intègre dans ses créations ses réflexions sur l'anthropomorphisme de la nature. Le thème des germinations et des éclosions parcourt tout l'œuvre de Masson: ses dessins automatiques, au trait enlevé, évoquent tour à tour la faune, la flore et l'être humain. Avec ces formes organiques qui se détachent sur un fond sombre, semblable à une matrice, il atteint son ambition de «peindre le sexe de la nature».
Voici une tapisserie de 1989 à laquelle je suis particulièrement sensible car elle est dénommée « GR N°2 ou les chemins de grande randonnée». Elle reproduit un tableau de Bernard Dorny peintre graveur qui avait un goût particulier pour les matériaux pauvres: bois flottés, carton, papiers usagés ou rejetés. Il a réalisé de nombreux collages, papiers pliés, bois-reliefs ainsi que de très grands panneaux de bois flottés assemblés. Cette oeuvre restitue parfaitement l’effet euphorisant que produit une journée de marche sur les sentiers de randonnée. En visitant cette exposition c’est un peu comme si j’avais marché !
Si vous habitez ou passez dans la région je vous invite ardemment à aller visiter cette extraordinaire exposition qui sera ouverte jusqu'au 9 mars 2025.
Je vous invite à aller sur mon blog musical
(lien dans la barre de titre)
pour écouter ma chanson:
Un monde meilleur
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ALICIA vit dans la grande exploitation agricole dirigée par sa sœur et son époux à Skoura, au sud du Maroc. Son mariage vacille, elle n'est pas très heureuse. Une crise politique entre syndicats et gouvernement rendra la marche de l'exploitation difficile tout comme son travail d'infirmière libérale. Suite à la traversée de moments spécialement pénibles pour sa vie de couple, elle envisage son retour en France. Sa sœur Azziza décide de modifier le fonctionnement de l'exploitation dont la charge est trop lourde pour une jeune femme.
TEXTE* & PHOTOS ULYSSE
Largement inspiré des commentaires de l'exposition qui accompagnent les tapisseries
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